Comportements répétitifs et autisme : définitions et enjeux

Les comportements répétitifs – ou stéréotypies – sont l’un des critères diagnostiques de l’autisme, selon les classifications internationales telles que le DSM-5. Ils regroupent des actions, sons, gestes ou routines répétées, qui peuvent prendre de nombreuses formes.

  • Stéréotypies motrices : balancements, battements des mains, jeux répétitifs avec des objets…
  • Stéréotypies verbales : répétition de mots, d’expressions, d’intonations.
  • Routines et rituels : impératifs d’organisation dans les activités, résistance au changement.
  • Centres d’intérêt restreints : passion intense pour des sujets précis, auxquels la personne s’investit souvent des années durant.

Chez l’adulte, ces comportements peuvent évoluer : ils peuvent diminuer, se transformer ou se réinvestir dans de nouveaux centres d’intérêt. Mais le passage au grand âge introduit de nouveaux facteurs, souvent sous-estimés.

Pourquoi s’intéresser à l’évolution des comportements répétitifs après 60 ans ?

L’espérance de vie des personnes autistes augmente, rendant visible une génération de seniors désormais confrontés à des défis inédits : vieillissement naturel, entrée possible en institution, fragilité somatique accrue. Selon l’enquête Autisme-Europe (2019), moins de 5 % des ressources dédiées concernent spécifiquement les plus de 60 ans. Or, les professionnels comme les familles signalent des évolutions parfois marquantes des comportements répétitifs à cet âge, soulevant de nouveaux besoins d’accompagnement (source : CRAIF).

Facteurs influençant l’évolution avec l’âge

Plusieurs paramètres expliquent pourquoi et comment ces comportements se transforment ou persistent au fil de la vie :

  • Modifications neurobiologiques liées à l’âge : vieillissement cérébral, apparition ou aggravation de troubles cognitifs, pathologies neurodégénératives (par exemple, maladie d’Alzheimer ou démences fronto-temporales).
  • Changements de contexte : passage de la vie en foyer vers l’établissement médicalisé ou l’EHPAD, rupture de routines suite à un déménagement ou à la perte d’un proche.
  • Facteurs sensoriels : troubles auditifs, visuels ou moteurs accentuant l’anxiété ou la stimulation sensorielle recherchée par ces comportements.
  • Facteurs psychologiques : stress lié à la perte d’autonomie, sentiment d’isolement renforcé avec l’âge.
  • Qualité de l’accompagnement : accès ou non à des activités adaptées, niveau de compréhension des équipes professionnelles vis-à-vis des besoins spécifiques des seniors autistes.

La combinaison unique de ces facteurs chez chaque personne explique l’immense diversité des trajectoires observées.

Ce que disent les études et retours du terrain

La littérature scientifique sur le sujet, bien que limitée, apporte certains enseignements :

  • Prévalence : Selon une étude longitudinale menée en 2016 aux Pays-Bas (Geoffray et al., Autism in Adulthood), près de 90 % des adultes autistes âgés de 55 à 75 ans présentaient encore des comportements répétitifs, mais leur intensité avait souvent diminué avec le temps.
  • Evolution qualitative : Pour beaucoup, les répétitions motrices (flapping, balancement) ont tendance à se faire plus discrètes ou à être remplacées par des routines mentales (comptage, réorganisation mentale d’objets, routines verbales intérieures) avec l’avancée en âge. Chez d’autres, en revanche, notamment chez les personnes ayant une déficience intellectuelle associée, ces stéréotypies peuvent rester marquées, voire s’intensifier face au stress ou à la perte de repères.
  • Facteur anxiété : Plusieurs études (dont Frazier et al., 2020) soulignent la corrélation entre l’augmentation de l’anxiété et la fréquence des gestes répétitifs : la perte d’autonomie ou de capacités cognitives peut agir comme un déclencheur.
  • Témoignages : Sur le terrain, des familles et professionnels rapportent que certains seniors autistes développent de nouveaux rituels pour « faire face » aux transformations de leur quotidien : répétition de contrôles, vérifications de dates, fixation sur un thème (horaires, météo, emploi du temps), symboles de maintien d’un sentiment de maîtrise.

Un point souvent méconnu : à défaut d’être bien compris, ces comportements peuvent être perçus comme des « troubles », alors qu’ils sont souvent de précieux indicateurs du niveau de bien-être ou de stress, et de besoins non comblés.

Comment repérer et comprendre l’évolution des comportements répétitifs ?

  • Observation régulière : Il est indispensable d’observer (et, si possible, de consigner dans un cahier de suivi) les types et fréquences de comportements répétitifs, en notant les contextes associés (heure de la journée, situations particulières, événements émotionnels).
  • Dialogue avec la personne concernée : Dans la mesure du possible, donner la parole au senior autiste lui-même. Certains sont capables de verbaliser l’utilité ou le sens de tel comportement, ou de raconter son évolution (« J’ai moins besoin de tourner en rond, mais je pense tout le temps à mon agenda »).
  • Travail avec l’entourage : La famille, les proches ou l’équipe d’accompagnement peuvent repérer l’apparition de nouveaux rituels, des transferts de stéréotypies motrices vers des routines mentales, ou l’augmentation soudaine des gestes (signe d’un mal-être à investiguer).
  • Adaptation des outils d’évaluation : Peu de grilles existent spécifiquement pour les seniors autistes. L’ADOS-2 et la SRS-2, couramment utilisées, peuvent être adaptées avec l’aide de spécialistes (source : INSERM).

Quels impacts sur la qualité de vie et la santé ?

Les comportements répétitifs, bien compris et accompagnés, ont toute leur place dans la vie d’une personne autiste âgée. Ils ne sont source de souffrance qu’en cas de :

  • gêne sociale majeure (isolement, rejet en établissement, incompréhension par les pairs),
  • risque physique (mutilations, gestes dangereux),
  • impact fonctionnel (perte d’autonomie en raison de rituels envahissants ou bloquants).

A contrario, ils peuvent représenter : - des stratégies d’auto-organisation précieuses dans la gestion des pertes de repères typiques du vieillissement ; - une façon de réguler son anxiété, ses émotions, ou les stimulations sensorielles.

Il est donc capital de ne jamais « interdire » ces gestes, mais de chercher à en comprendre la fonction exacte, avant d’accompagner, si besoin, la personne vers des modalités plus confortables.

Pistes d’accompagnement spécifiques pour les seniors autistes

Adapter l’environnement

  • Maintenir autant que possible des routines stables (horaires, repas, repères visuels).
  • Créer des espaces « refuge » permettant l’expression de gestes répétitifs sans stigmatisation.
  • Tenir compte des facteurs sensoriels (lumière douce, bruit limité).

Renforcer la communication

  • Utiliser des supports visuels et écrits pour rassurer sur le déroulé de la journée.
  • Encourager l’utilisation d’agendas ou d’applications adaptés, utiles pour canaliser la tendance à la vérification compulsive ou à l’anxiété liée au temps.

Favoriser le bien-être émotionnel

  • Proposer des médiations douces : activités artistiques, relaxation, musique, jardinage, souvent investies « en boucle » mais sources de plaisir quotidien.
  • Travailler en équipe pluridisciplinaire (psychologues, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, médecins gériatres).

Soutenir familles et professionnels

  • Informer sur la nature évolutive des comportements répétitifs.
  • Éviter les interprétations erronées (par exemple, voir une augmentation des gestes répétitifs comme un pur « trouble du comportement » sans analyser les sources d’angoisse ou d’insatisfaction).

À noter : l’absence de formation des équipes intervenant en EHPAD est régulièrement pointée par Autisme France, soulignant combien la reconnaissance des spécificités autistiques chez les seniors demeure un enjeu crucial.

Axes de recherche et initiatives à suivre

La question de l’évolution des comportements répétitifs au-delà de 60 ans reste peu étudiée. Quelques pistes et initiatives marquantes :

  • Projets européens : le programme « AGEing with AUTISM » (Royaume-Uni, Suède, Irlande) analyse l’évolution des troubles du spectre autistique chez les plus de 65 ans ; premiers résultats attendus d’ici fin 2025 (National Autistic Society).
  • Recherche en France : Le centre d’excellence sur l’autisme de l’hôpital Sainte-Anne (Paris) a lancé en 2023 un groupe de travail sur les seniors porteurs d’autisme avec déficit intellectuel. Parmi les axes : suivi des comportements répétitifs, développement d’outils d’évaluation adaptés à la gérontologie.
  • Actions sur le terrain : En Haute-Garonne, divers établissements testent la création d’« espaces sensoriels apaisants » en EHPAD, conçus en lien avec les personnes autistes et leurs proches (source : ARS Occitanie, 2023).

Pour un accompagnement digne et éclairé

Si la visibilité des seniors autistes grandit, la compréhension de leurs modes d’adaptation, dont les comportements répétitifs, tarde à s’imposer dans le paysage médico-social. Il ne s’agit ni de les réprimer, ni de les sur-pathologiser, mais de les reconnaître comme des ressources, parfois des signaux d’alerte. La qualité de l’écoute, la formation des intervenants, l’ajustement des pratiques feront la différence pour garantir à chacun un vieillissement respectueux, apaisé et inclusif.

Continuer à documenter, partager et valoriser les savoirs issus du terrain constitue un levier essentiel au service d’une société plus attentive à la diversité des modes de vie à tous les âges.

En savoir plus à ce sujet :

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