Autisme et vieillissement : un terrain encore peu exploré

L’autisme est le plus souvent pensé à travers le prisme de l’enfance et de l’âge adulte jeune. Pourtant, des milliers de personnes autistes franchissent aujourd’hui le cap des 60, 70 ans et plus, sans que les effets du vieillissement sur leurs fonctions cognitives soient bien connus ni accompagnés. En France, près de 700 000 personnes vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) selon l’INSERM. L’amélioration du dépistage et l’augmentation de l’espérance de vie font émerger une nouvelle réalité : la population des seniors autistes grossit, et avec elle, la nécessité de comprendre les processus cognitifs qui les concernent au fil du temps.

Quels sont les principaux troubles cognitifs associés à l’avancée en âge dans la population générale ?

Avant d’aborder la spécificité de l’autisme, il importe de rappeler quels sont les troubles cognitifs habituellement observés lors du vieillissement :

  • Diminution des fonctions exécutives : ralentissement de la planification, de la prise de décision, baisse de flexibilité mentale.
  • Baisse de la mémoire de travail : difficulté à retenir temporairement des informations pour effectuer une tâche (ex : faire mentalement des calculs simples).
  • Déclin de la vitesse de traitement de l’information : lenteur pour traiter, comprendre ou réagir à de nouvelles informations.
  • Altération de certaines mémoires : la mémoire épisodique (souvenirs d’événements) et la mémoire prospective (fonction permettant de se rappeler de faire des choses plus tard) sont souvent affectées.
  • Troubles attentionnels : plus grande distractibilité, difficulté à se concentrer sur une tâche complexe.

Ces phénomènes, universels mais variables d’un individu à l’autre, peuvent être exacerbés par d’autres troubles associés, comme la dépression, l’anxiété ou les troubles sensoriels.

Le vieillissement cognitif chez les personnes autistes : particularités et recherches récentes

Envisager le vieillissement chez les personnes autistes nécessite de tenir compte de leurs différences neurodéveloppementales, qui touchent à la communication, aux interactions sociales et à la flexibilité cognitive.

Spécificités du vieillissement cognitif dans l’autisme

  • Rigidité cognitive : Plusieurs études (Sintzel & Lefevre, 2021 ; Roestorf et al., 2019) notent que les personnes autistes peuvent présenter une rigidité plus marquée avec l’âge. Les routines deviennent parfois plus cruciales, tandis que la tolérance au changement ou à l’imprévu diminue. Cette perte d’adaptabilité est aussi liée au vieillissement des fonctions exécutives.
  • Profil mnésique atypique : Si la mémoire procédurale (savoirs-faire pratiques) demeure souvent stable, la mémoire épisodique pourrait être plus vulnérable au vieillissement chez les autistes, parfois dès le milieu de l’âge adulte. L’étude de Lever et Geurts (2016) montre cependant une grande variabilité individuelle, certains gardant des capacités stables alors que d’autres voient apparaître un déclin prononcé.
  • Attention sélective et distractibilité : Les difficultés dans le filtrage de l’information sensorielle ou cognitive peuvent s’intensifier avec l’âge, rendant l’environnement encore plus envahissant et fatigant, surtout quand la charge cognitive s’alourdit.

Données quantitatives et constats cliniques

  • Selon Roestorf et al., 2019 (« Aging in Autism Spectrum Disorders: A Mini-Review »), plus d’un tiers des adultes autistes de plus de 50 ans présentent des troubles significatifs des fonctions exécutives.
  • Les troubles anxieux et l’état dépressif, fréquents chez les personnes autistes âgées (plus de 40 % selon Mason et al., 2018, dans le « Journal of Autism and Developmental Disorders »), peuvent à leur tour aggraver les difficultés cognitives.
  • Le vieillissement pourrait impacter la capacité à utiliser des stratégies compensatoires, rendant certains handicaps plus visibles, là où des adaptations personnelles ou professionnelles suffisaient auparavant.

Maladies neurodégénératives et autisme : le risque accru ?

L’apparition de troubles comme la maladie d’Alzheimer, de Parkinson ou d’autres formes de démence interroge légitimement familles et professionnels. Les personnes autistes sont-elles plus à risque ?

  • Peu d’études longitudinales, mais des signaux à surveiller : Les recherches sont encore restreintes, mais Lever & Geurts (2016) et sa revue de littérature suggèrent que les troubles cognitifs liés aux pathologies neurodégénératives ne sont pas systématiquement plus fréquents chez les autistes que dans la population générale – la variabilité individuelle reste considérable.
  • Difficulté d’évaluation : Le diagnostic de démence peut être compliqué à poser, car certains signes (ex : retrait social, rigidité des routines, troubles du langage pragmatique) existent déjà chez nombre de personnes autistes, brouillant la frontière entre autisme et début de maladie neurodégénérative.

A ce jour, aucun facteur génétique propre à l’autisme augmentant le risque de maladie d'Alzheimer n’a été identifié. Mais l’absence de dépistage adapté peut retarder la prise en charge, accentuant le sentiment d’isolement ou d’incompréhension.

Signes et symptômes à surveiller chez les seniors autistes

La difficulté, c’est de distinguer ce qui relève de l’évolution naturelle de l’autisme des signes d’un trouble cognitif avéré. Les indices d’alerte qui doivent amener à consulter :

  • Perte d’autonomie sur des tâches routinières jusque-là maîtrisées : gestion de l’argent, du transport, prise des médicaments, etc.
  • Désorientation temporelle ou spatiale nouvelle
  • Difficultés inédites à communiquer / perte de compétences en langage oral ou écrit
  • Changements majeurs de comportement (irritabilité, retrait, mouvements stéréotypés accentués)
  • Épisodes d’oubli marqués ayant des conséquences concrètes (ex : se perdre sur des trajets connus)
  • Dégradation du jugement ou des capacités d’analyse

Sur ces points, l’entourage joue un rôle crucial : il est souvent le premier à percevoir des évolutions inhabituelles, soulignées ou non par la personne elle-même qui, parfois, n’a pas conscience du changement survenu.

Quels facteurs aggravants indirects ?

Certains troubles ou situations annexes peuvent peser sur les fonctions cognitives, souvent de façon insidieuse :

  • Isolement social : L’isolement, déjà fréquent chez les personnes autistes âgées (près de 70 % selon une enquête du CRA Occitanie), majore le risque d’altération cognitive.
  • Dépression et anxiété non prises en charge : Ces troubles font souvent partie du tableau, mais peuvent aussi précipiter des troubles mnésiques ou attentionnels.
  • Facteurs médicaux somatiques : Douleurs chroniques, pathologies cardiovasculaires ou troubles du sommeil (très présents chez les seniors autistes, selon Kim et al., 2019) fragilisent aussi les réserves cognitives.
  • Médication inadaptée : Certains psychotropes accentuent la lenteur cognitive ou les troubles de la mémoire, surtout quand la surveillance médicale est faible.

Quels accompagnements spécifiques face à ces troubles ?

Adaptation des suivis et des accompagnements

Pour soutenir au mieux les seniors autistes présentant des troubles cognitifs, quelques principes semblent essentiels :

  • Suivi neuropsychologique personnalisé : Adapter les outils d’évaluation à la singularité du parcours autistique, éviter les seuls repères de la population générale.
  • Maintien d’une vie sociale et d’activités stimulantes : Sorties, ateliers adaptés aux intérêts, maintien des routines positives sont des leviers majeurs pour préserver les fonctions cognitives.
  • Soutien à la communication alternative : Utilisation d’agendas visuels, d’aides mémoire numériques ou papier, de pictogrammes pour organiser la journée et prévenir l’angoisse liée au déclin cognitif.
  • Information et formation des aidants : Pour qu’ils puissent observer, réagir et adapter leurs pratiques sans infantiliser ni brusquer.
  • Partenariat entre professionnels : Articuler accompagnement social, suivi médical et soins spécialisés (neurologie, gériatrie, psychiatrie), en veillant à ne pas fragmenter les interventions.

État des recherches : un grand chantier pour demain

Les études longitudinales sur le vieillissement des personnes autistes restent encore trop peu nombreuses. D’après Geurts et al. (2022, « Nature Reviews Neurology »), la nécessité d’outils cliniques adaptés, de formations spécifiques et de démarches participatives impliquant directement les seniors autistes dans la recherche est une priorité absolue.

  • Les cohortes en préparation (European Autism Interventions, iCARE4Autism) devraient permettre, dans la décennie à venir, de mieux distinguer ce qui relève du vieillissement normal chez les personnes autistes et ce qui signale une pathologie cognitive à traiter d’urgence.
  • Des travaux participatifs naissent enfin en France : l’association Asperger Aide propose une cellule d’observation et de conseils sur le vieillissement, permettant de recueillir données et témoignages précieux pour la prise en charge de demain.

Pistes pour mieux vieillir : agir vite, ensemble et sur-mesure

Le vieillissement cognitif chez les personnes autistes mérite d’être abordé sans tabou, avec précision et nuance. Si les troubles cognitifs apparaissent parfois tôt, ils ne condamnent jamais à l’isolement. Le regard, l’expertise et l’engagement de l’entourage, des professionnels comme des pairs, restent les premières clés.

On retiendra que l’hétérogénéité prime et que chaque parcours, chaque trouble, chaque adaptation est unique. La formation, l’anticipation et la créativité restent nos meilleurs alliés pour permettre aux seniors autistes de vieillir dignement, tout en maintenant le plus possible leur autonomie et leurs choix de vie.

Pour aller plus loin :

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