Comprendre l’autisme à l’âge adulte : une réalité encore peu explorée

L’autisme accompagne la vie entière, pourtant la majorité des études et des réponses sociales se concentrent sur l’enfance et l’adolescence. Arrivées aux âges de la maturité, puis du vieillissement, les personnes autistes se retrouvent souvent face à un double enjeu : continuer leur chemin avec leurs spécificités neurologiques et affronter les risques accrus de maladies chroniques liées à l’âge.

Mais ces risques évoluent-ils différemment chez les autistes ? Le diagnostic de TSA (trouble du spectre autistique) modifie-t-il la vulnérabilité ou, au contraire, offre-t-il certaines formes de résistance face aux pathologies de l’âge ? Décryptons les faits, sans a priori ni stéréotype.

Santé physique des adultes autistes : état des lieux épidémiologique

Les données épidémiologiques récentes permettent, petit à petit, de dessiner une cartographie spécifique de la santé physique des adultes autistes, y compris chez les séniors.

  • Surmortalité précoce : Les adultes autistes présentent une espérance de vie globalement plus courte : en Suède, une étude sur plus de 27 000 adultes autistes a montré une espérance de vie diminuée de 16 ans en moyenne par rapport à la population générale (JAMA, 2016).
  • Co-morbidités chroniques : Les TSA sont liés à une prévalence plus élevée de certaines maladies chroniques, notamment l’épilepsie, le diabète de type 2, l’hypertension, l’obésité et les troubles gastro-intestinaux (Frontiers in Psychiatry, 2019).
  • Risques cardiovasculaires accentués : Plusieurs publications mettent en avant une fréquence accrue d’accidents vasculaires cérébraux, d’hypertension et de facteurs de risque cardiovasculaires dès l’âge moyen (Journal of Autism and Developmental Disorders, 2022).
  • Ostéoporose : Chez les femmes autistes, le risque de fractures et d’ostéoporose semble supérieur à la moyenne, probablement lié à une moindre activité physique et à des régimes alimentaires particuliers (Lancet Psychiatry, 2018).

Face à ce constat, certains chercheurs se sont penchés sur l’hypothèse d’une potentielle protection de l’autisme face à certaines maladies.

Autisme : les mécanismes protecteurs sont-ils une réalité ?

L’idée selon laquelle le cerveau autiste serait à l’abri de certaines maladies neurodégénératives, comme Alzheimer, a circulé ces dernières années. Cette intuition s’appuie sur les spécificités physiologiques, notamment une « hyperconnectivité » cérébrale, observée par IRM chez certains profils TSA.

  • Moins de maladie d’Alzheimer ? Quelques études pilotes, notamment menées en Grande-Bretagne, ont suggéré une faible représentation de personnes autistes parmi les populations atteintes de la maladie d’Alzheimer. Cependant, faute de diagnostics systématiques de TSA chez les séniors, il est difficile de confirmer ce phénomène à grande échelle (interprétations croisées avec les travaux du Autistica Research Network).
  • Facteurs protecteurs supposés : La routine, la prévisibilité du quotidien et la stimulation cognitive intense des personnes autistes ont été désignées comme des piliers contribuant à protéger certaines fonctions cérébrales. Toutefois, ces hypothèses n’ont pour l’instant pas trouvé de validation formelle.
  • Mécanismes inflammatoires : Parmi les débats ouverts : les spécificités du système immunitaire chez les autistes. Certaines recherches esquissent l’idée d’un lien entre inflammation chronique et incidence accrue de pathologies dégénératives ; or, dans l’autisme, le profil immunitaire particulier pourrait, dans certaines circonstances, ralentir ou accélérer des processus pathologiques selon d’autres variables (Neurotherapeutics, 2013).

Au-delà des conjectures, une réalité demeure : les facteurs de protection attribués à l’autisme restent marginaux face au poids des déterminants sociaux et médicaux qui favorisent la survenue de maladies liées à l’âge.

Une accumulation des vulnérabilités : précarité, isolement, accès aux soins

C’est souvent moins l’autisme en lui-même qui expose que le cumul de freins sociaux et environnementaux, lesquels ont parfois un effet délétère supérieur aux mécanismes biologiques propres au TSA.

  • Précarité socio-économique : L’insertion professionnelle des autistes adultes demeure très faible (moins de 16% en emploi stable selon la DREES, France 2022). Le risque de précarité à l’âge senior s’en trouve décuplé, avec des conséquences directes sur l’alimentation, l’activité physique et l’accès aux dispositifs de prévention santé.
  • Isolement social chronique : Les séniors autistes rapportent plus fréquemment un sentiment de solitude marqué, vecteur d’aggravation des troubles anxieux et dépressifs et accélérateur du déclin fonctionnel (Autism, 2022).
  • Parcours médico-social morcelé : Peu de structures disposent de véritables filières gériatriques pour les adultes TSA. D’où un risque de retard de diagnostic des maladies chroniques, ou d’une prise en charge médicale inadaptée face à des symptômes atypiques.

Ces situations fragilisent davantage la santé des adultes autistes, plus encore que le TSA lui-même.

Des spécificités psychiatriques à ne pas négliger 

Le vieillissement des personnes autistes s’accompagne aussi d’une exposition accrue aux pathologies psychiatriques :

  • Dépression et anxiété : Une prévalence qui monte jusqu’à 47% chez les adultes, selon une synthèse du Réseau Autisme Europe – des chiffres nettement supérieurs à ceux de la population générale senior.
  • Syndrome d’épuisement autistique (“autistic burnout”) : Phénomène peu connu du grand public, mais très fréquent chez les adultes autistes âgés, ce syndrome entraîne fatigue chronique, perte d’autonomie et aggravation de l’isolement.
  • Risque suicidaire accru : Les adultes autistes, notamment ceux sans déficience intellectuelle, présentent des taux de tentatives de suicide multipliés par 7 par rapport à la population générale (Psychological Medicine, 2019).

Ces spécificités, cumulées avec les risques somatiques, justifient une vigilance accrue du système de santé vis-à-vis de cette population.

Des attitudes et pratiques bénéfiques observées chez certains séniors autistes

Mais il serait erroné de ne voir que risques. Car certaines réalités propres aux personnes autistes vieillissantes offrent aussi des pistes de réflexion pour la prévention des maladies liées à l’âge :

  • Habitudes de vie stable : L’attachement fort à la routine, souvent perçu comme un frein d’adaptation, peut favoriser la constance dans la prise des traitements, ou l’adhésion à des suivis médicaux.
  • Sensibilité sensorielle : Cette caractéristique, marquante dans le TSA, conduit de nombreuses personnes à une attention accrue vis-à-vis des ressentis corporels, et de certains signaux de malaise, parfois avant l’apparition de symptômes évidents.
  • Recherche du calme et de la prévisibilité : Ces stratégies spontanées protègent en partie du stress chronique, reconnu lui-même comme un élément aggravant de nombreuses maladies liées à l’âge (cardiopathies, déclin cognitif, etc.).

Sur le terrain, certaines équipes médico-sociales ont noté que les séniors autistes qui vivent dans un environnement adapté, respectueux de leur rythme, peuvent présenter un niveau de bien-être physique et une stabilité médicale davantage préservés.

Quelles perspectives pour la recherche et l’inclusion ?

Le vieillissement des personnes autistes est encore le parent pauvre des politiques publiques et de la recherche biomédicale. Quelques initiatives émergent :

  • Lancée au Royaume-Uni, l’étude “Ageing & Autism” (Autistica Research Network) : plus de 500 adultes autistes suivis sur 20 ans, afin de décrypter les mécanismes du vieillissement neurologique spécifique.
  • En France, le projet “Autisme & Vieillissement” piloté par la FIRAH et Autisme France, vise à identifier les besoins et les bonnes pratiques en EHPAD et services d’aide à domicile.

Ces chantiers prometteurs laissent espérer une meilleure compréhension des facteurs aggravants et, surtout, du réel potentiel d’ajustement des dispositifs de prévention.

Des leviers pour mieux accompagner : posture inclusive et prévention adaptée

Si l’autisme n’est ni un rempart ni un facteur aggravant en soi face à l’ensemble des maladies liées à l’âge, il invite à repenser la notion de santé globale : respect des particularités sensorielles, adaptation des soins, lutte renforcée contre l’isolement, et reconnaissance des pratiques de vie protectrices.

L’urgence consiste, pour les professionnels comme pour les aidants, à :

  1. Sensibiliser le corps médical à la détection et la prévention des pathologies chez les adultes TSA âgés
  2. Développer des politiques publiques ciblées contre la précarité des séniors autistes
  3. Faciliter l’accès à des environnements stables et adaptés
  4. Promouvoir la recherche participative et le recueil de données épidémiologiques massives

Une société réellement inclusive, capable d’offrir un accompagnement sur mesure tout au long de la vie, reste la meilleure protection – et la meilleure réponse – aux défis du vieillissement chez les personnes autistes.

En savoir plus à ce sujet :

© sesame-mp.fr