L’autisme tout au long de la vie : une réalité encore peu visible

En France comme ailleurs, la majorité de la recherche, de l’offre de soins et de l’accompagnement du public autiste cible l’enfance et l’adolescence. Pourtant, selon l’enquête IFOP de 2022, sur les 700 000 personnes porteuses de troubles du spectre de l’autisme en France, une grande proportion sont adultes, et nombre d’entre elles avancent en âge sans bénéficier d’un accompagnement spécifique (source : IFOP/FAH, 2022).

Cette invisibilité s’explique par une série de facteurs :

  • Un diagnostic tardif ou absent pour de nombreux adultes, notamment les plus âgés (le diagnostic de TSA n’est réellement développé en France que depuis les années 1990)
  • L’absence de statistiques précises sur la population autiste séniore
  • Des services médico-sociaux historiquement centrés sur la jeunesse

Or, vieillir avec l’autisme soulève des questions inédites. Les trajectoires de vie, le vieillissement cognitif, les défis liés à la santé physique et mentale, ainsi que les besoins d’accompagnement évoluent. Pourtant, la société, les familles et les professionnels disposent encore de peu de repères concrets pour répondre à ces enjeux.

L’impact du vieillissement sur la santé des personnes autistes

Des vulnérabilités médicales accrues

Le vieillissement entraîne son lot de défis et de fragilités pour chacun. Pour les personnes autistes, certaines problématiques se complexifient :

  • Taux de comorbidités : Les études montrent une prévalence accrue de certaines maladies chroniques (épilepsie : jusqu’à 33% selon l’âge, versus 1-2% dans la population générale, troubles cardiovasculaires, diabète : étude menée par Tollerfield et al., 2021, NIH).
  • Difficultés sensorielles : Vieillissement de la vue, de l’audition, de la motricité fine, sur un terrain déjà rendu complexe par les particularités sensorielles inhérentes à l’autisme.
  • Risque majoré de troubles psychiatriques : L’anxiété, la dépression et les troubles obsessionnels-compulsifs restent fréquents et parfois aggravés par l’isolement progressif (source : Cairn).

Les personnes autistes vieillissantes consultent plus tardivement que la moyenne pour certains problèmes de santé (douleurs, troubles digestifs, bucco-dentaires), en raison de difficultés de communication ou d’un manque d’accès à des soins adaptés (HAS, « Repérage des besoins des adultes autistes vieillissants », 2021).

Des enjeux spécifiques de prévention et de suivi

  • Le suivi gériatrique classique peut omettre certaines spécificités de l’autisme (résistance au changement, routines, besoins de repères visuels ou sensoriels).
  • La question du dépistage des troubles neurodégénératifs (Alzheimer, Parkinson…) reste très insuffisamment étudiée : en France, l’absence de protocoles adaptés pour des personnes autistes perturbe l’accès à un diagnostic différentiel fiable (rapport CREAI Occitanie, 2021).
  • L’apparition de troubles somatiques (arthrose, maladies métaboliques) requiert une adaptation des accompagnements quotidiens, parfois non anticipée par les établissements ou les aidants.

Maintien de l’autonomie : entre obstacles et ressources

Changements liés à l’âge : une épreuve pour les routines et l’environnement

Le vieillissement implique souvent des modifications de l’environnement de vie : déménagement, perte de proches, entrée en institution. Pour une personne autiste, ces changements peuvent être perçus comme des bouleversements majeurs. Les habitudes, repères, objets du quotidien prennent une importance encore accrue.

  • Un déménagement forcé (suite au décès d’un parent par exemple) peut provoquer durablement des troubles du comportement ou un repli.
  • La diminution des capacités physiques rend parfois la participation à certaines activités d’auto-soin ou de loisirs plus complexe, exigeant alors de nouveaux aménagements (objets adaptés, aides techniques, médiation animale).

À l’inverse, certaines personnes découvrent de nouvelles stratégies pour compenser leurs difficultés. On observe chez quelques séniors une meilleure gestion de certaines émotions ou situations sociales par l’expérience acquise (Tertiary Autistic Self-Advocate Network, 2019).

Rôle clé de l’accompagnement personnalisé

  • Accès à l’information : Les séniors autistes et leurs familles manquent d’outils pour anticiper les changements liés à l’âge ; il existe peu de guides adaptés en français.
  • Adaptation de l’aide humaine : Il s’agit de concilier nécessaire protection et respect du projet de vie, en tenant compte de l’histoire singulière de chaque personne (notamment si elle n’a connu que des structures ou, au contraire, un parcours en famille isolée).
  • Innovation dans le logement et l’activité : Très peu de structures sont pensées pour des séniors autistes (ex. actuellement moins de cinq projets pilotes de maisons partagées « autisme et vieillissement » en France, selon l’ARS Occitanie en 2023).

Réseau social, isolement et perte de lien : des besoins relationnels spécifiques

L’âge aggrave-t-il la solitude ?

La solitude des personnes autistes âgées est un phénomène présumé massif mais peu quantifié. Les études internationales suggèrent que parmi les adultes autistes de plus de 55 ans, plus de 60 % vivent sans partenaire, et près de 40 % sont en situation d’isolement social sévère (source : Lever & Geurts, Current Opinion in Psychiatry, 2020).

  • La perte des parents ou tuteurs légaux, souvent tardive chez ce public, peut faire basculer brutalement la personne vers la solitude ou un accompagnement inadapté.
  • Rares sont les lieux d’activité, de partage ou de culture ouverts et préparés à accueillir des séniors autistes (absence quasi-totale de clubs spécifiques, peu d’offres numériques adaptées).

Pourtant, préserver du lien social, même limité, participe au maintien de l’estime de soi et retarde la survenue de troubles dépressifs ou de régression cognitive.

Appui des pairs et communauté

  • Les Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM), souvent centrés sur les troubles psychiques, commencent à s’ouvrir à l’autisme adulte. Quelques initiatives en Occitanie proposent des temps spécifiques séniors (liste sur le site du CREAI Occitanie, 2023).
  • La médiation par l’activité artistique, numérique, ou la pair-aidance (transmission de conseils entre séniors autistes) sont des pistes émergentes en Angleterre ou au Canada, encore très peu développées en France (autismawarenesscentre.com).

Les aidants : des partenaires à soutenir face à la durée

L’avancée en âge des personnes autistes questionne directement le vieillissement de leurs proches aidants, parents ou frères et sœurs : selon une enquête de l’association Autisme France en 2021, plus de 75% des adultes autistes vivant hors établissement sont pris en charge au domicile familial, le plus souvent par des mères ou pères ayant dépassé 65 ans.

  • La crainte de l’« après-nous » (c’est-à-dire ce qu’il adviendra de l’adulte autiste après le décès ou l’incapacité des parents) est systématiquement citée comme l’une des premières sources d’angoisse des familles (source : Autisme France, 2021).
  • Les solutions d’accueil temporaire ou de répit sont peu accessibles ou inadaptées à l’âge avancé (critères d’admission trop restrictifs, absence de programmes de stimulation adaptée).
  • La coordination entre les différents acteurs (services gériatriques, aides à domicile, structures TSA) reste souvent balbutiante ; de nombreux aidants se retrouvent seuls pour naviguer entre les dispositifs (Rapport IGAS, 2022).

Des besoins d’adaptation systémique et d’innovation sociale

Mieux penser les dispositifs d’accompagnement : quelques pistes existantes

  • Proposer des formations croisées entre professionnels de la gériatrie et acteurs spécialisés TSA, pour un vrai « croisement des regards »
  • Créer des outils d’auto-évaluation des besoins, traduits en FALC (Facile à Lire et à Comprendre), accessibles aux séniors autistes et à leurs familles
  • Développer une culture de l’accompagnement « à la carte » plutôt que « sur catalogue », en individualisant l’offre à la trajectoire de vie
  • Soutenir les expérimentations de logements partagés, tiers-lieux adaptés, dispositifs mobiles d’accompagnement, en s’inspirant d’initiatives modèles en Belgique ou au Québec (voir « Projet Sésame », Bruxelles, 2020)
  • Renforcer la reconnaissance officielle du rôle d’aidant familial vieillissant, avec droits à répit et soutien psychologique dédié

Des priorités pour la recherche et la société civile

  1. Mieux documenter le vieillissement des personnes autistes en France, via de grandes enquêtes nationales longitudinales
  2. Identifier et diffuser les bonnes pratiques en matière d’accueil, de soins, d’accompagnement social
  3. Inclure systématiquement la parole des personnes concernées dans la conception des dispositifs

Pour une société qui accompagne vraiment le vieillissement autiste

L’avancée en âge transforme les besoins, mais aussi les potentialités d’accompagnement des personnes autistes. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter des dispositifs ou de « vieillir mieux », mais bien de repenser les réponses de façon transversale : interroger la place du lien social, la prévention santé, l’inclusion dans les lieux de vie et d’activités, les droits des aidants. La priorité aujourd’hui : rendre visible ce public oublié, expérimenter sans relâche, et co-construire des réponses à la hauteur de la diversité des parcours.

Retrouver l’estime de soi, garder une place dans la société, maintenir ses repères : autant de défis qui concernent toute la communauté, familles et professionnels, mais aussi élus et citoyens. Car accompagner dignement l’avancée en âge des adultes autistes, c’est redonner force à l’inclusion et au respect de chacun, à tous les âges de la vie.

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