Particularités sensorielles et autisme : de quoi parle-t-on vraiment ?

Les particularités sensorielles font partie intégrante de l’autisme, reconnues dans les critères diagnostics depuis la parution du DSM-5 en 2013. Qu’il s’agisse d’hyper- ou d’hyposensibilité, ces différences affectent la réception, le traitement et la réponse aux stimuli issus de l’environnement : bruit, lumière, textures, odeurs, température… Pour la plupart des adultes autistes, ces singularités sensorielles ne sont ni anecdotiques ni accessoires. Elles impactent les choix vestimentaires, la manière de s’alimenter, la capacité à fréquenter des espaces publics ou à travailler en équipe. Paradoxalement, si l’on parle beaucoup des enfants, les questions relatives au vieillissement sensoriel chez les personnes autistes sont peu documentées.

Ce que révèle la littérature scientifique : persistance, évolution… ou les deux ?

Selon l’étude longitudinale menée par le Centre for Autism Research de Philadelphie (Crane et al., 2021), plus de 90% des adultes autistes interrogés rapportaient des particularités sensorielles depuis l’enfance. Cependant, leur intensité et leur expression évoluent parfois à l’âge adulte, sous l’effet de l’apprentissage, de la vie quotidienne… mais aussi du vieillissement biologique. Les chercheurs mettent en évidence trois grandes trajectoires :

  • Stabilité forte : Certains adultes restent aussi sensibles aux stimulations qu’à 20 ans. Le syndrome sensoriel évolue peu ou pas.
  • Changements graduels : Chez d’autres, l’intensité de certaines sensibilités varie, s’accentuant ou s’atténuant, ce qui modifie les besoins d’adaptation.
  • Apparition de nouveaux défis : Des adultes décrivent des sensibilités inédites, souvent liées à la perte sensorielle du vieillissement ou à l’apparition de pathologies associées : presbyacousie, cataracte, médecine polypharmacie…

D’après l’étude de Tavassoli et al. (2016), la hypersensibilité auditive reste la particularité la plus fréquemment rapportée chez les adultes autistes de plus de 50 ans, suivie par l’hyperréactivité tactile et visuelle.

Vieillissement sensoriel « typique » et autisme : un mélange subtil mais décisif

Chaque individu vieillit et subit, avec le temps, certains changements sensoriels : baisse progressive de l’ouïe, de la vue, de la sensibilité cutanée, modifications du goût et de l’odorat… Chez les adultes autistes, ces évolutions s’ajoutent – ou interagissent – avec les particularités sensorielles préexistantes.

  • La presbyacousie, qui touche 65% des plus de 65 ans (source : Inserm), peut compliquer le diagnostic d’une surdité ou accentuer les difficultés à trier les sons.
  • La diminution de la proprioception (sensation du corps dans l’espace) peut accroître l’insécurité motrice, déjà présente chez certains autistes.
  • Les maladies chroniques, fréquentes avec l’âge, (diabète, AVC, Parkinson…) sont susceptibles d’engendrer de nouveaux troubles sensoriels ou d’amplifier ceux déjà vécus.

Néanmoins, la recherche montre que – contrairement à une idée reçue – certains seniors autistes demeurent extrêmement sensibles à des stimulations qui n’affectent quasiment plus leurs homologues neurotypiques du même âge (Robertson & Simmons, 2015 : "The sensory experiences of adults with autism spectrum disorder: A qualitative analysis").

Hyper-réactivité sensorielle et stratégies adaptatives à l’âge mûr

Comment les personnes autistes, arrivées à la soixantaine ou plus, font-elles face aux défis sensoriels ? Lors d’une enquête qualitative menée au Royaume-Uni (Leekam et al., 2017), la majorité des participants indique avoir développé tout au long de leur vie des stratégies personnelles, souvent très sophistiquées :

  • Recours systématique à des accessoires : lunettes teintées, bouchons d’oreilles moulés, vêtements en matières naturelles, casques réducteurs de bruit…
  • Préférence pour des environnements contrôlables (chez soi, nature), évitement des lieux imprévisibles.
  • Structuration temporelle (fréquentation de supermarchés ou des services médicaux en heures creuses, par exemple).
  • Autorégulation émotionnelle renforcée (respiration, routines, objets d’auto-stimulation visuelle ou tactile), parfois au prix d’une certaine fatigue ou d’un retrait social.

Il est aussi question d’un phénomène ambivalent : le vieillissement s’accompagne parfois d’une « acceptation » progressive de ses particularités, et d’une meilleure identification des déclencheurs. Mais l’affaiblissement des capacités d’adaptation (fatigue plus rapide, mobilité réduite, dépendance accrue) peut rendre les stratégies ordinaires plus difficiles à mettre en œuvre. Un facteur de stress rarement anticipé… par les professionnels comme par les proches.

Le risque d’épuisement et d’isolement sensoriel chez les seniors autistes

Avec l’âge, l’exposition répétée à des environnements inadaptés, le manque de compréhension ou de prise en compte des besoins sensoriels peuvent conduire à un épuisement chronique. Les études réalisées dans les Ehpad ou résidences séniors (Langdon et al., 2023 : Autism in later life: developing inclusive care homes) démontrent que, sans adaptation, les seniors autistes :

  • S’isolent davantage, fuyant les moments collectifs ou les espaces communs.
  • Développent des symptômes secondaires (anxiété, dépression, troubles du sommeil), souvent interprétés à tort comme de simples « manifestations de vieillesse ».
  • Perdent en autonomie faute d’un environnement sensoriel suffisamment apaisé et prévisible.

L’importance de l’aménagement sensoriel (éclairage doux, repères visuels clairs, lieux refuges, limitation des bruits) demeure sous-estimée dans la majorité des établissements accueillant des personnes âgées autistes ou non diagnostiquées. Une situation dont les conséquences sont multiples : perte de participation sociale, accentuation du repli, détérioration de la qualité de vie.

Quelques pistes pour accompagner dignement les seniors autistes

  • Valoriser la parole des intéressés : Les personnes autistes de plus de 60 ans possèdent souvent une grande expertise de leur propre sensoriel. Prendre au sérieux leurs observations, éviter de minimiser sous prétexte de « vieillissement normal ».
  • Former les accompagnants (familles, aidants, professionnels) à la spécificité du vieillissement autistique : il ne s’agit pas d’un simple cumul de troubles mais d’une articulation singulière.
  • Individualiser plus que jamais l'accompagnement sensoriel : Certains seniors tolèrent mieux, d’autres réagissent plus durement que durant leur jeunesse. La vigilance et l’ajustement permanent restent la règle.
  • Inclure la question sensorielle dans tous les projets de vie ou d’accompagnement : repérage des sensibilités, prévention des chutes ou des conflits, adaptation de l’horaire des repas, gestion des stimulations collectives…
  • Soutenir la participation sociale : Proposition d’activités compatibles, moments calmes, espaces sensoriels sécurisés (bulle calme, jardin thématique, ateliers à petits groupes…)

L’élaboration d’outils concrets, simples à utiliser au quotidien (cartes de communication sur les besoins sensoriels, audits sensoriels des lieux de vie, adaptations simples) s'impose de plus en plus comme une priorité, largement défendue par les associations de familles et les collectifs autistes seniors.

À retenir pour mieux agir : une prise en compte fine, un enjeu d’inclusion et de santé

Les particularités sensorielles font partie de l’expérience de la majorité des adultes autistes à tous les âges, y compris à l’heure du vieillissement. Si la nature précise et l’intensité des difficultés évoluent très diversement – parfois atténuées, parfois renforcées ou simplement transformées – leur prise en considération demeure un levier décisif pour préserver l’autonomie, la qualité de vie et la pleine participation sociale des seniors autistes. Ce sujet mérite une place de choix dans la formation des professionnels du secteur gérontologique et du handicap, ainsi que dans la réflexion des familles et des collectivités. Développer des environnements sensoriels inclusifs, même à petits pas, c’est garantir un vieillissement plus serein, porteur de respect… et de dignité. Pour aller plus loin :

En savoir plus à ce sujet :

© sesame-mp.fr