Comprendre la variété des profils de communication chez les adultes autistes

Chez les personnes autistes, la communication est rarement univoque. Il existe une diversité de profils, de besoins et de stratégies, parfois verbales, parfois non verbales. On estime qu'environ 30 à 50% des adultes autistes ont un langage verbal limité ou inexistant, selon l'étude de Howlin et al. (2013, Cambridge University Press). D’autres utilisent la parole avec aisance, mais rencontrent des difficultés sociales et pragmatiques, comme comprendre les sous-entendus ou s’ajuster à un interlocuteur.

Cette diversité, déjà présente tout au long de la vie, influence le vécu du vieillissement. Aborder la question des capacités de communication chez les seniors autistes exige donc d’éviter toute généralisation excessive.

Vieillissement et autisme : ce que disent les recherches sur l’évolution des capacités de communication

La recherche sur l’autisme à l’âge adulte reste jeune : jusqu’aux années 2000, la majorité des travaux concernaient les enfants et les adolescents. Pourtant, selon une revue de la littérature publiée dans Autism Research en 2022, les adultes autistes vivent aujourd’hui bien plus longtemps qu’avant ; certaines estimations récentes évoquent une espérance de vie moyenne allant de 54 à 70 ans (Hirvikoski, 2016 ; Lord et al., 2022), rendant les enjeux du vieillissement de plus en plus centraux.

Que sait-on des modifications des capacités de communication avec l’âge ? Voici les constats principaux :

  • Baisse de l’efficacité de certains outils de compensation : avec l’âge, les stratégies d’adaptation (mémorisation de scénarios sociaux, routines verbales) peuvent devenir moins efficaces à cause d’un déclin cognitif naturel, comme le montrent plusieurs études longitudinales (Lever & Geurts, 2016).
  • Vulnérabilité accrue aux troubles sensoriels : la perte auditive ou visuelle liée à l’âge peut perturber les supports de communication, surtout pour ceux qui s'appuient majoritairement sur ces canaux (Sørensen et al., 2021, European Journal of Special Needs Education).
  • Stabilité, mais rigidité accrue de certains profils : les personnes ayant développé des compétences verbales restent souvent stables dans leur capacité à utiliser le langage ; mais la flexibilité dans les interactions sociales peut diminuer (trouble dans l’adaptation à de nouveaux contextes, difficulté à réparer un malentendu).

Une étude britannique menée auprès de 68 adultes autistes de plus de 50 ans a montré que beaucoup rapportaient un « sentiment d'invisibilité » dans les échanges sociaux et une tendance à réduire leurs interactions faute d’accompagnement adéquat (Autism in Adulthood, 2021).

Effets spécifiques du vieillissement sur les compétences communicatives

Défis liés au vieillissement "typique" amplifiés par l'autisme

  • Déclin cognitif léger : le vieillissement s’accompagne, chez tout le monde, d’une baisse légère de certaines fonctions exécutives (mémoire de travail, rapidité de traitement, planification). Pour une personne autiste, ce peut être la capacité à retrouver ses mots ou à suivre une conversation de groupe qui s’érode plus vite, du fait d’un « effet cumulatif ».
  • Apparition tardive de troubles psychiatriques : le risque d’anxiété, de dépression ou de retrait social augmente avec l’âge (Croen et al., 2015), aggravant parfois les troubles de la communication. Le sentiment de solitude ou de perte de rôle social peut conduire à un appauvrissement du langage utilisé ou à des troubles du flux verbal.
  • Difficultés à solliciter de l’aide : la gêne à exprimer une souffrance, à demander un service ou à reformuler une incompréhension s’accentue dans un environnement peu sensibilisé à la double spécificité « autisme + vieillesse ».

L’impact du contexte et de l’accompagnement

Les études montrent un impact prépondérant du cadre social et des opportunités de communication sur le maintien des capacités. Les personnes vivant en institution ont tendance à voir leurs interactions se raréfier, tandis que celles bénéficiant d’un accompagnement individualisé ou de projets inclusifs rapportent un maintien, voire une amélioration de leur confiance communicative.

  • Activités en groupe : participer à des ateliers adaptés (lecture à voix haute, groupes de discussion encadrés) est protecteur (Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, 2020).
  • Utilisation d’outils alternatifs : la communication augmentée ou alternative (CAA), comme les pictogrammes, tablettes ou carnets de communication, reste bénéfique à tout âge, mais nécessite un suivi pour s’ajuster à la perte de motricité fine ou à la fatigue visuelle.

Quels enjeux d’accompagnement face à ces évolutions ?

Sensibiliser les aidants et les professionnels

Encore trop peu de structures (EHPAD, FAM, SESSAD adultes) forment leurs équipes aux spécificités du vieillissement autistique. Pourtant :

  • Ignorer l’évolution des besoins communicatifs conduit souvent à sur-interpréter des retraits comme un manque d’intérêt, ou à négliger des souffrances réelles.
  • Une absence de formation favorise le recours à des réponses inadaptées (médicamentation excessive, mise à l’écart des personnes non-verbales ou « agitées »).

De nombreux professionnels témoignent d’une difficulté à prendre en charge des seniors autistes, par crainte de mal faire ou par manque d’outils (HAS, 2018). Pour renforcer la qualité des soins et l’inclusion, la collecte d’informations sur les habitudes de communication dès l’arrivée dans la structure, puis un suivi dans la durée, sont déterminants.

Adapter les outils et les environnements

Chaque évolution de santé (perte de mobilité, troubles auditifs, déclin visuel) demande une adaptation :

  • Pictogrammes et supports visuels : agrandir, renforcer le contraste, privilégier la simplicité.
  • Environnements calmes : limiter les stimulations auditives et les éclairages agressifs qui parasitent la communication.
  • Outils technologiques : s'intéresser aux logiciels ou applications de CAA spécifiquement pensés pour les personnes âgées (plus lisibles, commande vocale, rétroaction sonore renforcée).

Quelques initiatives émergentes commencent à voir le jour, comme le programme belge « Autisme & Âge » qui développe des outils visuels adaptés au vieillissement.

Paroles de seniors autistes : au cœur de la réalité

Les témoignages directs révèlent l’importance d’une communication adaptée. Françoise, 67 ans, autiste diagnostiquée à 59 ans, raconte : « J’utilise un carnet où je note les mots qui me posent problème, mais je n’ose pas toujours le sortir devant tout le monde. Je préfère rester en retrait que de sentir que je gêne. »

Armand, 74 ans, explique « J'ai toujours du mal à savoir ce que je dois dire au médecin. Avec l’âge, c’est pire : si on ne me pose pas de questions précises, je n’explique rien. »

Pour beaucoup, vieillir, c’est ressentir à nouveau la solitude des premières années, faute d’un entourage apte à saisir leurs modes de communication spécifiques. Cela souligne aussi la résilience et l’adaptabilité de nombreux adultes autistes : certains redéveloppent des outils, trouvent de nouveaux rituels sociaux, ou inventent des solutions hybrides (sms, émojis, guides pratiques personnalisés…).

Prévenir la perte d’initiative et soutenir l’autonomie communicationnelle

Comment prévenir la raréfaction des échanges et l’isolement ? Plusieurs axes se dégagent des retours d’expérience et des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS, 2018) :

  • Mise en place de groupes de parole ou d’ateliers adaptés à la sensibilité autistique.
  • Formation continue des professionnels de santé sur la double vulnérabilité : autisme et âge.
  • Évaluation régulière des compétences communicationnelles (et pas seulement des troubles !), afin d’ajuster l’accompagnement.
  • Encouragement des échanges intergénérationnels, sources de stimulation et reconnexion sociale.

L’accompagnement doit être pensé comme un processus interactif, où l’on valorise et nourrit les modes de communication utilisés par la personne à chaque étape de la vie.

Repenser l’inclusion : une société à taille humaine, qui s’adapte tout au long de la vie

Face à l’augmentation des seniors autistes, il devient urgent de repenser l’inclusion et l’accompagnement. Améliorer la communication, ce n’est pas uniquement fournir des outils : c’est réfléchir à la façon dont la société écoute, accueille et reconnaît la parole et le silence, les gestes, les regards, les maladresses, comme des formes de présence et d’expression humaine à part entière.

La question n’est donc pas tant « le vieillissement altère-t-il la communication des adultes autistes ? » que : notre société est-elle capable de soutenir et de valoriser la pluralité des modes de communication, à tout âge et pour tous ?

  • Former et outiller les aidants, professionnels et proches
  • Soutenir la recherche sur les parcours et besoins spécifiques des seniors autistes
  • Inclure systématiquement la question des modes communicatifs dans tous les diagnostics et projets personnalisés
  • Renforcer la sensibilisation du grand public au droit de chacun, à tout âge, à être compris et respecté dans sa manière de communiquer

Pour reprendre les mots de la chercheuse Hilde Geurts (« Aging with Autism Spectrum Disorder », 2019), « le défi n’est pas seulement de maintenir les compétences, mais d’élargir la palette des moyens de communication accessibles et reconnues comme légitimes ».

Seulement à ce prix, les seniors autistes pourront vieillir dignement, en restant maîtres de leurs échanges avec le monde, aussi singuliers soient-ils.

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